Archéologie sonore
L’histoire de l’enregistrement sonore, mis en marché depuis plus de 125 ans déjà, est jalonnée de découvertes technologiques et d’une panoplie de matériaux et de techniques destinés à capter et à conserver les sons. En 1877, le processus se résumait à la transformation directe d’ondes sonores sur un cylindre. À notre époque, le processus par lequel ces mêmes ondes sont transposées en signaux électriques par des micros est autrement plus complexe. Désormais, il faut alimenter un convertisseur d’un signal analogue en vue de le numériser et de l’enregistrer, puis le manipuler par ordinateur.
Quant aux disques produits avant 1955, plusieurs problèmes se posent en raison d’une absence de normes communes. Au début de l’ère du 78 tours / minute, peu de compagnies enregistrent en fait à cette vitesse précise. Columbia et Edison, par exemple, gravent des disques 80 tours; ceux de Pathé sont gravés à des vitesses variables, de 80 à 100 tours. On a beau mentionner les vitesses de lecture sur l’étiquette, mais celles-ci peuvent varier grandement. Tout disque joué à une autre vitesse que celle indiquée fausse la réalité des sons produits dans une performance, ne respectant ni leurs vraies hauteurs, ni la fréquence des vibratos.
En 1925, après l’introduction du microphone, les ingénieurs réalisent que cette technologie est supérieure à la technologie du pavillon acoustique pour capter les sons graves, mais il y danger qu’un sillon glisse, déborde dans le suivant en raison de l’amplitude sonore accrue. Il faut alors diminuer cette amplitude au moment de la gravure pour toutefois donner la possibilité de l’amplifier au moment de l’écoute sur l’appareil à domicile. Par ailleurs, les fréquences aiguës font l’objet de compressions pour réduire le bruit. Mais encore une fois, tous ces changements se font sans norme aucune, chaque compagnie établit les siennes, quitte à les modifier d’une production à l’autre.
Fort heureusement, dès 1925, la vitesse de l’enregistrement de 78 tours/minute est généralement retenue. Enfin en 1955, le disque 33 1/3 devient la norme et le sillon est pourvu d’une largeur normalisée et de la courbe de jeu RIAA.
Tous les disques sont aussi assujettis à des bruits parasitaires, ces derniers causés par la rugosité de la surface, ses irrégularités, l’usure et autres avaries. Cela dit, un disque vinyle des années 1980 est bien plus lisse qu’un disque de 1910 et bien moins bruyant. D’autres bruits tels les vrombissements, cognements, chuintements et bourdonnements sont aussi présents sur les vieux enregistrements et plus audibles encore s’il s’agit d’une captation en direct.
De nos jours, nous bénéficions grandement de systèmes informatiques pouvant éliminer de tels bruits captés soit à la source ou produits par le disque même. Si les logiciels sont bien ajustés, le signal d’origine ne sera pas ou peu affecté par cette intervention. Le conservateur sonore cherchera donc à établir un point d’équilibre délicat entre la suppression des bruits et le meilleur respect possible du signal d’origine. Un enregistrement « surtraité » sonnera alors étouffé et terne, les conséquences étant particulièrement néfastes pour la voix humaine.
Forme d’archéologie sonore, cette suppression des couches de bruits peut alors révéler des détails à peine audibles avant le traitement et ainsi donner une nouvelle vie à de vieux documents sonores.
Gilles St-Laurent, 2007
Conservateur Audio
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